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Après la visite du Mausolée d'Atatürk, je reprends la route. En fin de journée, soit 94 km plus loin, je suis à Kizilcahamam. Le lendemain soir, après une journée sans incidents de 120 km, je dors à Bolu. En quittant la ville par une matinée chaude et ensoleillée, je rencontre un cycliste particulier : c'est le Président du Club Cycliste de Bolu. Au guidon de son vélo sont fixés un appareil photo étanche (qui peut faire office de caméra), un GPS et un i-phone ! Nous discutons un moment et lorsque nos routes se séparent, il me donne sa carte de visite.

Le soir, je suis à Sakarya. Je me réveille sans savoir que, l'après-midi, ma vie ne tiendrait qu'à un fil. Dans la ville de Derince (entre Izmit et Gebze), je photographie à trois reprises un pont magnifiquement décoré. Un peu plus loin, je roule bien à droite sur une deux fois deux voies. A ma droite : un mur de trois mètres de haut, donc aucune échappatoire possible de ce côté. Une grosse voiture blanche, venant en face, traverse le terre-plein central et vient vers moi en zigzagant : apparemment, le conducteur, roulant à très (trop !) vive allure, a perdu le contrôle de son véhicule. Brusquement, quelque chose casse et la roue avant droite se retrouve à 45° par rapport à l'horizontale. La voiture part en glissade et me croise à deux mètres avant de s'immobiliser en pleine gauche cinquante mètres plus loin... à l'endroit où je me serais trouvé si j'avais pris cinq photos du pont au lieu de trois : c'est ma sobriété photographique qui m'a sauvé ! Mes jambes flageolent lorsque je descends de vélo pour prendre des photos de la voiture. J'arrive à Gebze où, non sans mal, je finis par trouver un hôtel à prix abordable. Je ne pouvais pas me douter que cette nuit serait la dernière que je passerais dans un hôtel en Turquie et, surtout, en bonne santé !

Le lendemain matin, 7 juillet 2011, je roule en direction d'Istamboul que je compte visiter en une semaine. Mais je ne verrai de la ville que deux hôpitaux (en position horizontale), un commissariat de police (assis sur une chaise pendant six heures avec une vertèbre fracturée et six côtes cassées) et le tarmac de l'aéroport !!! En arrivant à Istamboul, je prends une photo qui sera ma dernière photo de cyclotouriste en pleine forme et qui aurait pu devenir ma dernière photo tout court : c'est, sur le pignon d'un immeuble, une immense pub pour... un hôpital !

Environ un quart d'heure plus tard, je suis percuté par l'arrière par une camionnette. Je passe de 15 km/h à 62,96 km/h (c'est mon compteur qui le dit), je pars en tonneaux ainsi que le vélo, puis glisse sur le dos. Lorsque je finis par m'immobiliser, je hurle de douleur, le dos, les fesses et les avant-bras en sang. Je suis allongé sur le dos et ne peux pas me relever. C'est avec soulagement que je m'aperçois que je peux bouger les jambes et, donc, que je ne suis pas paralysé... Une pensée me traverse l'esprit :" Pourvu que je n'aie pas de lésions internes fatales à court terme !"

Je ne vois que le ciel bleu et des têtes au-dessus de moi. Rapidement, une infirmière me fait une piqûre dans le bras droit et un infirmier me retire mon casque et me met une minerve. Je suis placé sur un plan dur en plastique et embarqué dans une ambulance. Commence alors pour moi une longue journée de souffrances que je vous raconterai la prochaine fois.

Après Diyarbakir, je me dirige vers Gaziantep. L'accueil est toujours aussi chaleureux et je ne regrette pas d'être venu en Turquie où j'ai appris beaucoup de choses sur son histoire, son présent, le mode de vie de ses habitants. Leur façon de vivre est d'ailleurs plus proche de la nôtre qu'on ne le croit généralement en Occident.

Un jour, je remarque un camp de tentes blanches, toutes identiques. C'est parce qu'un fou nommé Bachar El-Assad, fait tirer sur son peuple, à 50 km de là, de l'autre côté de la frontière, qu'un certain nombre de Syriens viennent se réfugier ici, en Turquie, pour essayer de sauver leur vie. Le voyageur n'est pas un téléspectateur passif et lointain, douillettement calé dans son fauteuil, à l'abri de tout danger, mais est parfois témoin direct ou indirect de réalités terribles !

Gaziantep, Kahramanmaras, je prends la direction de Kayseri et Ankara. Toujours des montées et des descentes, je commence à en avoir l'habitude. Ankara est construit sur des collines et je me rends chez un couple SERVAS dont je trouve la maison sans trop de difficultés. Mon hôtesse est employée de banque, a un fils autiste de 5 ans et vit avec son compagnon qui ne travaille pas et n'aime pas les voyages. Il estime que la Turquie et le meilleur pays du monde et qu'il n'a pas besoin d'aller voir ailleurs ce qui se passe. Je n'aime pas critiquer les gens en leur absence, mais je pense, d'après ses propos, qu'il ne fait pas preuve d'une très grande ouverture d'esprit ! Il me scandalise au cours du repas, quand nous abordons le problème kurde et qu'il déclare : "Les Kurdes, il faudrait tous les tuer !" Sans commentaires. Mon hôtesse a fait venir sa soeur qui parle français (pas trop mal, car elle a étudié un an à Toulouse dans le cadre du programme ERASMUS). Celle-ci non plus ne porte pas les Kurdes dans son coeur. Elle me dit : "Nous n'aimons pas les Kurdes car ils veulent partager le pays. Nous, nous voulons le garder dans les frontières qu'avait défini Atatürk !" Le lendemain matin, je quitte cette famille pour aller visiter le Mausolée d'Atatürk. Je demande mon chemin au vigile d'une entreprise qui m'invite à déjeuner. Je reconnais bien là la charmante hospitalité turque.

Chose curieuse, à l'entrée du Mausolée, je dois déposer mon casque de vélo (contre remise d'un reçu, pour le récupérer à la sortie) mais on me laisse mon couteau dans ma sacoche banane qui vient pourtant de passer aux rayons X ! C'est un monument immense et majestueux qui est malheureusement mal indiqué en ville. On y accède par une rangée d'escaliers et une très longue allée bordée de lions de pierre tous identiques. Nous arrivons à une esplanade d'où l'on peut voir une grande partie d'Ankara. A gauche, la salle à colonnades où se trouve le cercueil de pierre de Gazi Mustafa Kémal Atatürk : c'est là que repose le corps du fondateur de la Turquie moderne, Etat laïc en pays musulman. Ici, l'atmosphère est recueillie. Les différentes galeries, avec photos, statues, textes et maximes, offrent aux visiteurs une véritable histoire de la Turquie du XXeme siècle. En tant qu'enseignant, je suis sensible à la citation : "Teachers are the one and only saviors of the nations." (October 14, 1925, Mustafa Kemal Atatürk). D'autres me plaisent bien également. Au cours de la visite, j'ai la surprise et le plaisir d'entendre la voix d'Atatürk, enregistrée lors de son dernier discours. Je termine par la cafétéria où je me régale d'un délicieux gâteau et d'un verre de chocolat chaud. Nous sommes le dimanche 3 juillet 2011, quatre jours avant que ma vie ne bascule...

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