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I de l'aéroport à Haridwar

Un guichet comme partout pour passeports et visas puis un vaste dortoir à ciel ouvert, sous une mousson utile, attendue et crainte.

-"Vous êtes tous bienvenus, vous êtes tous ignorés, débrouillez vous pour trouver de la place":

Orange monacal, safran brûlant, pourpre et décolté, carreaux écossais sur chemisette bon marché, vieille toge de lin, blue-jean classique d'un touriste occasionnel, peaux à nue, du très noir au très gris, panoplies d'humanité allongées près d'une eau opaque qui descend très vite de la montagne. Demain les dormeurs, à tour de rôle, iront s'y plonger . La violence des klaxons sera-t-elle annihilée par la placidité des milliers de pèlerins indifférents les uns des autres?
Sous un pont, des enfants plus rieurs que religieux jouent avec des cordes suspendues, comme chez nous, d'autres enfants, avec des balançoires.

II Richikesch

Qu'on se baigne, qu'on ne se baigne pas, on baigne: oui, dans l'air en-sué des autres corps et dans la buée des gazs d'échappement. L'hôtel "great Ganga" assure ce minimum de confort appelé propreté. Une occidentale transie, de type nymphette tardive et hermétique, danse en éveillant l'attention de pèlerins moins moqueurs que moi qui du Gange ont choisi la rive Ashram, la plus bruyante, la plus commerçante, la plus à la mode.

Autre rive, sans micro ni amplificateur: le soir tombe, des chandeliers sont allumés et le feu est offert à l'eau toujours aussi grise du fleuve. Des femmes insatiables et des hommes presque furieux (d'être fatigués), se jettent dans les flammes tandis que des officiants récoltent leurs aumônes.
Les sadous déjà squelétisés par une anorexie chronique qu'ici l'on nomme ascèse se couvrent de poussière: ils s'arrangent pour être bouffés par les puces, les mouches et la vermine; être cadavre avant terme, dès d'ici bas, lifting à-contrario. Sans doute faut-il avoir développé quelques résistances secrètes pour n'en pas mourir plus vite.
Et dans cette foule, tant de justes silhouettes, tant de visages lisses et parfaits, tranquilles et doux; tant d'idoles et de mannequins possibles, tant d'anonymat, pour nos magasines en manque de simple beauté; tant de corps caressants que le saris souligne.



IV Questions entre Richikesch et Rudraprayag :

a)est-ce qu'un chauffard, chauffeur de transport en commun, se réincarne en passager mutilé à vie?
b)comment un ascète, fort de techniques ancestrales lui permettant de contrôler chaque souffle et chaque cellule de son corps peut-il être victime du bien vulgaire mal des transports. Ou: "Un sadou qui vomit est-il vraiment un sadou?"!!
c)Comment s 'extraire de la foule des pèlerins et monter dans les rizières, prendre un bain bien profane dans l'eau enfin claire d'un torrent.?



V Convois et sicks

Sauter d'autos en autobus (qui crève deux fois en 40 kilomètres) pour rejoindre le convoi terminal de Josimath à Badrinath; convoi, car la piste de montagne est telle que la circulation n'est possible qu'à sens unique: trois allers et trois retours possibles chaque jour. Des sicks soignent leurs chignons et sentent le portefeuille bien garni. Leur aisance et leur bonne humeur attestent que leur religion proscrit l'idée de péché originel: beaux vainqueurs bienveillants. Tout leur temple sont ouverts à tous: il suffit de se déchausser. Au bord de la rivière le chanvre indien pousse comme des orties.


VI 5000 mètres

Vêtu de rouge foncé, couleur de vin, il marche nus pieds sur un glacier puis, dans un petit album, consulte les photos où, recouvert d'un cache sexe, il pose en sage plein de néant. C'est Narcisse au pays du Dalaï Lama.
Un jeune Russe muni d'une large croix et d'un casque audio chargé de musique New-Age peine à grimper: "c'est encore loin la cascade sacrée?" ("pour la cascade, non plus très loin, pour le sacré, c'est à vous de décider""). Jeune orthodoxe, hyppie de l'Est donc en retard, il portera cravate et montre contrefaite d'ici deux ans à moins d'avoir raté son train en terminant sans le sous.

Très noir de souille et vautré sur le sol; celui-ci refuse même les roupies: je crois il veut un repas: des doigts qu'il porte machinalement à ses lèvres semblent l'indiquer. Mais pas de n'importe quel repas: il veut d'un repas de chien!
NB: aumône mode d'emploi: vous payez d'abord un restaurateur. Il vous enfile ensuite une portion de riz bien épicé dans un sac en plastique. Vous balancez enfin le sac en direction de l'affamé qui le dévore peu à peu, inquiet comme un enfant sauvage loin de son bois, au bord du caniveau...


La chambre des voyageurs n'a pas l'eau chaude mais le lit est confortable. Tout le monde s'endort enfin à Badrinath, source du Gange parmi d'autres sources. Les dévotions sont effectuées, l'aumône tant bien que mal et les photos aussi...pour se souvenir. A noter que même les jeunes du coin en "prennent", des photos...du numérique pour épater les potes:
-"oui ça, c'est quand j'étais avec ma girl-friend made in France."

VII Retour dans la vallée

Convoi tout terrain, mal de coeur à écouter un brave instituteur nous vanter les mérites des voitures fabriquées en Inde. Bon désir de quitter la route des pèlerins pour enfin voir de quoi VRAIMENT ON VIT ICI!! Et Ouf! voilà enfin deux jolies jeunes collégiennes en vacances qui dans les montagnes et les rizières gagnent un peu d'argent de poches en gardant des vaches: ...elles maîtrisent assez la langue anglaise pour expliquer, sous le yeux de leur tante, que leur papa est militaire, qu'il gagne plutôt très peu d'argent (peut-être moins que les sadous qui mendiaient rituellement hier face au temple) et qu'elles espèrent l'une et l'autre devenir un jour "maîtresse d'école". Le grand frère fera lui comme papa: il partira à l'armée. Sur le simple parvis de leur maison en terre, elles nous offrent un thé dans de belles tasses de faïences. La plus âgée est allée les chercher dans l'unique pièce commune de la maison, derrière un petit rideau. Bien plus que de pauvreté ou de simplicité c'est de soin qu'il s'agit ici: chaque objet a sa place, chaque objet a de la valeur. Les futures maîtresses d'école notent le nom de leurs invités dans un cahier journal de bord.

VIII Préjugés post twinn tower: à Ranicket

Une meute de singes est accablée par un jet de pierres lancées par de jeunes garçons. Leur méchanceté rieuse et dommage incline le voyageur facile à penser qu'ils font partie de la communauté des quelques musulmans locaux dont du minaret, l'appel à la prière concurrence la symphonie devenue banale, des klaxons. "des indoux, des non-violents (Gandhi a la vie dure!: il faut dire qu'à Richikesch il y a six jours, un scorpion mortel qui se promenait sur les orteils d'une japonaise insouciante eut la vie sauve grâce à l'intervention de quelques méditants béats mais attentifs...et la japonaise n'y vit alors que du feu! ) n'agiraient pas ainsi; "évidemment"....

IX Nainintal, ou, digérer au bord d'un lac

Presque plus de sadou, un temple très discret et des bâtiments vieille Angleterre décatis. Occasion de rappeler, en occidental terre à terre, le devoir de maintenance. Les moulins, c'est peut-être bon pour les prières mais pas pour les ravalements de façade et pas davantage pour le retraitement des eaux usées ou l'entretien des papiers peints!
Reste à l'extrémité du lac, en marge des anciennes riches demeures, une rue bien indienne, à deux pas du vide et d'un glissement de terrain tel qu'en a déjà connu plusieurs fois Nanintal, une rue suspendue avec des maisons sans fondement, une rue d'ici, la plus animée, la plus commerçante, et piétonne avec ça! vivant du simple son des voix, des outils et des friteuses pleines d'huiles saturées ou des petits morceaux de pâte très sucrés viennent eux aussi se "baigner"comme les pèlerins dans l'eau du Gange. Un tailleur assis sur le trottoir et parlant assez l'anglais pour venir en aide au voyageur exécute quatre ourlets pour vingt roupies en l'espace de dix minutes. Il ne fera jamais fortune. La rue suspendue tiendra-t-elle face au vide au moins le temps de sa vie. On dira alors: "ce tailleur a eu de la chance et une vie paisible"

Le lendemain, très tôt, des amants seront réveilles par des sauts bruyants et des jets de pierres. L'homme plutôt que de téléphoner à la réception de l'hôtel enfilera courageux un pantalon pour sortir de la chambre et corriger au moins verbalement ces adeptes irrespectueux du tintamarre matinal. Mais, la porte ouverte, il ne saura que dire à la petite troupe de singes assez costauds sautillant en cavalcade sur les toits de taules ondulées:

-"Jane, ce sont des singes!"
-"alors viens donc te recoucher mon gentil Tarzan...demain on prends l'avion...une grasse matinée nous fera du bien! histoire de nous préparer au décalage horaire"

ce matin là Tarzan ne retrouva pas le sommeil; ceux qui suivirent non plus. Les singes ressemblent beaucoup aux êtres humains