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Un kabyle à la conquête de la littérature danoise

Date: le 24/04/2009 à 21:16
Entretien avec Kamal AHMANE

Un kabyle à la conquête de la littérature danoise

Kamal Ahmane a exercé comme enseignant de langue française et correspondant de presse en Kabylie avant de prendre la tangente vers le Danemark en 2003. Il s´est imprégnée de la culture de son pays d´accueil et a maintenant franchi le pas de l’écriture poétique dans la langue de H.C Andersen. En effet, son premier recueil de poésie est sorti le mois de novembre 2008. Ses poèmes sont exclusivement écrits en danois. Toutefois, et à travers certains poèmes, il rend hommage à sa Kabylie natale et fait découvrir la beauté de cette région et le combat de ses femmes et hommes pour la démocratie et la liberté d´expression.
Dans cet entretien, il nous parle de sa vie au Danemark, ses projets d´écriture et bien entendu son premier recueil de poésie intitulé bindeled qui signifie « trait d´union ».

Ahcène MARICHE : Qui est Kamal Ahmane ?
Je suis âgé de 39 ans et natif de Tizi Rached. J´ai exercé depuis sept ans comme enseignant de langue française et correspondant de presse en Kabylie. En 2001 j´ai pris la tangente vers la France en vue d´y poursuivre des études supérieures, mais le vent de l´amour m´a emporté vers le nord, au Danemark après une année dans l´hexagone. Actuellement je vis avec ma femme danoise et mes deux filles, Sarah et Anya dans la ville d´Århus. Outre l´écriture, j´enseigne le français, l´anglais et deux autres matières en danois dans une école privée.

Ahcène MARICHE : Enseignant de langue française durant des années, comment vous avez découvert votre passion pour la poésie et le journalisme?
Parallèlement à l´enseignement, ma passion pour l´écriture m´a guidé vers le journalisme en collaborant aux quotidiens indépendants notamment liberté et la Nouvelle République. Le journalisme était pour moi un métier-passion qui m´a permis d´acquérir une expérience des plus enrichissante. Quant à la poésie, j´avoue que je n´ai jamais osé taquiner la muse ni dans la langue de Si Moh Umhand, ni celle de Voltaire, mais plutôt dans la langue de H.C. Andersen qui est ma quatrième langue étrangère. Mon tout premier poème en danois intitulé « Ja til livet » qui signifie « Oui à la vie » était un hommage à ma fille aînée qui a survécu après une naissance extrêmement difficile. C´était une sorte de déclic. Depuis, je ne résiste pas à l´envie de noircir les pages blanches et faire partager mes textes avec les autres. Pour moi, écrire des poèmes est un moyen d'expression.

Ahcène MARICHE : Comme tous les algériens épris du savoir et de l’art, vous avez quitté l’Algérie pour améliorer votre niveau de vie. Comment s´est faite votre aventure?
Quand j´étais lycéen et étudiant, j´avais beaucoup d´amis (ies) á l´étranger. J´avais presque une trentaine de correspondants issus de tous les coins du monde. J´écrivais énormément de lettres. D´ailleurs après 11 années d´échange épistolaire, j´ai rencontré ma correspondante danoise pour la première fois à Paris en juin 2001. C´était merveilleux, une belle histoire d´amour et le vent n Tayri m´a emporté vers le nord, au Danemark. Partir à l´étranger c´était beaucoup plus pour me soustraire à la bureaucratie qui gangrenait tous les domaines y compris l´enseignement, à un avenir sombre et incertain et à une kyrielle de maux que les mots ne peuvent décrire. En d´autre termes c´était dans le but de m´épanouir et par ricochet concrétiser des projets qui me tenaient à cœur.

Ahcène MARICHE : En arrivant au Danemark, vous avez appris rapidement le danois et vous avez réussi à faire connaître la culture berbère par le biais de cette langue. Pouvez nous nous en parler de cette expérience ?
A mon arrivée, je craignais de ne pas pouvoir maîtriser la langue danoise et ce, eu égard à sa complexité, mais il s´était avéré que j´avais une bonne oreille pour les langues. M’intégrer au Danemark était la seule chose à laquelle je pensais. Je ne me suis pas limité à ce que j´ai appris à l´école de langue, mais il fallait conquérir le danois par l´écriture. C´était d´ailleurs un exercice intitulé « un petit écrivain dans l´estomac » qui m´a permis de commettre mon premier poème en danois. Mes enseignants ainsi que mes camarades de classe, qui faut-il le signaler, représentaient quinze nationalités différentes, m´ont beaucoup encouragé. J´ai commencé alors à taquiner la muse en publiant mes poèmes dans des sites internet consacrés à la poésie en Scandinavie, mais aussi dans la revue M gasin du club de poésie d´Århus dont je suis membre. J´ai par ailleurs écrit la version danoise de ton poème Sidi Valentin, « Sankt Valentin » en danois. C´est ma manière à moi de rendre hommage à l´amour qui est un langage universel dépassant toutes les contradictions interculturelles.
J´ai constaté qu´il y avait un manque quant aux ouvrages inhérents à la culture berbère et aux berbères d´une manière générale, et beaucoup de danois ne savent pas grand chose sur la Kabylie. Je suis très flatté de savoir que mon recueil ait véhiculé un petit message par le biais de mes poèmes consacrés à la Kabylie. « Un berbère écrit des poèmes en danois », « Grandit en Kabylie et publie un recueil en danois », « citoyen du monde publie un recueil de poésie » « Début prometteur pour un artiste lokal » étaient quelques articles parus dans la presse danoise.

Ahcène MARICHE : Vous venez d’éditer votre premier recueil de poésie en danois, pouvez-vous nous en parler de ce nouveau né ?
Mon recueil s´intitule BINDELED qui signifie ”trait d´union”. Il contient 35 poèmes regroupés dans cinq thèmes différents: Pensées d´un immigré, débats et querelles politiques, la poésie comme palliatif, amour pour ma femme et mes filles et enfin un thème consacré à mon pays qui contient entre autre des poèmes tels que “Kabylie, un combat pour les libertés”, “l´effet boomerang” et “je me souviens”. La promotion de mon livre s´est bien faite et le recueil a reçu une bonne critique. Des bibliothèques continuent à l´acheter et mon éditeur est en train d´établir des contacts avec des établissements scolaires, car BINDELED pourrait être utilisé comme outil pédagogique dans l´enseignement du danois notamment dans les lycées.


Ahcène MARICHE: Vous écrivez exclusivement en danois sans pour autant passer par le kabyle ou le français. C´est sans doute un « exercice » difficile, d´où vient votre inspiration?
La poésie n'est pas le genre littéraire le plus facile et il est d´autant plus difficile d´écrire des poèmes rimés dans une langue étrangère. Je puise mon inspiration dans la vie de tous les jours et l´ étincelle qui pourrait être la source d'un nouveau poème est bien entendu l'actualité nationale ou internationale, un événement, une injustice, un problème de société noté dans la presse, la lecture d´un livre, d´un poème, un mot, un titre, un objet, une personne, la Kabylie, l´Algérie etc... Il existe également d´autres facteurs qui interviennent au cours de la genèse d’un poème. Bien que mes poèmes soient écrits en danois, mon âme reste viscéralement berbère.
Les thèmes abordés sont la Kabylie , le Danemark , les débats politiques, l´amour, problèmes sociaux, la guerre, la paix, intégration, les poètes, le racisme, l´amour...etc.

Ahcène MARICHE : Peut-on parler de votre vie au Danemark et de la communauté berbère dans ce pays ?
J´habite à Århus qui est la deuxième ville du Danemark après Copenhague. J´enseigne le français, anglais, et deux matières en danois, á savoir Natur &Teknik et l´art. En parallèle je fais une formation pour devenir citoyen-journaliste. Donc l´enseignement et le journalisme occupent mon quotidien au Danemark. C´est donc une sorte de retour à mes deux précédentes sources professionnelles (sourire). Sinon, je fais beaucoup de vélo et joue au foot. Quant à la communauté berbère, j´avoue que j´ai rencontré peu de kabyles. Ils sont formidablement intégrés dans la société danoise.

Ahcène MARICHE : Parler s TAQBAYLIT ne vous manque pas vraiment au Danemark ? Si oui comment arrivez vous à étancher cette soif ?
Les CD d´Idir, Takfarinas, Matoub, Inas Mazal, Djurdjura, Malika Domrane et tant d´autres chanteurs de chez nous m´accompagnent régulièrement que se soit chez moi ou bien dans la voiture. Je fredonne également quelques chansons d´Idir et parler à mes filles s TAQBAYLIT fait aussi parti de mon quotidien. Par ailleurs, j´ai un très bon ami originaire du village Ait Issad (Azazga), et on s´invite souvent autour d´un bon couscous.
Ahcène MARICHE : Parlons de vos projets d’avenir, que comptez-vous réaliser encore maintenant que le premier pas est fait?
Dans les mois à venir, j´ai une parution en vue, mon second recueil de poèmes. À moyen terme, je pense créer une association berbéro-danoise pour promouvoir la culture berbère au Danemark, un projet que je compte réaliser avec l´aide de certains amis. J´ai par ailleurs quelques projets de traduction à même de faire connaître nos grands écrivains et poètes.

Ahcène MARICHE : un dernier mot pour nos lecteurs ?
Merci à vous, Ahcène, de m'avoir accordé beaucoup de temps pour faire connaître mon recueil de poésie même si son contenu est en danois. J'aimerai ici remercier de tout mon cœur tous mes amis et par la même saluer tous mes anciens élèves. Je remercie également mes enseignants danois qui m'ont fait découvrir avec amour et passion leur culture tout en me permettant de partager avec eux ma propre culture, mes valeurs et ma Kabylie.
Entretien réalisé par Ahcène Mariche

Voici quelques extraits de poèmes contenus dans Bindeled.
(La traduction est faite par l´auteur)

Mon pays (poème de six strophes)

2ème et dernière strophe

Nous nous sommes éparpillés à travers le monde
Nous nous distinguons par notre intelligence féconde
Vers des pays lointains nous nous sommes rendus
Là, où les bouches ne sont point cousues
Et l´amour n´est guère un péché prêché par ta bête immonde
Là où les lois ne sont pas des accessoires pour ornement
Et l´être humain possède la place qui lui sied vraiment


La Kabylie, un combat pour les libertés (poème de 12 strophes)

Septième et dernière strophe

Tes sacrifices ne sont pas du tout vains
Tes qualités seront valorisées, défriché sera ton chemin
Tes genêts seront plus dorés que les grains de blé
Toi, ma Kabylie à laquelle l´homme libre appartient
Tu es belle, tu es ma joie et j´en suis comblé



Dévoilée (poème de six strophes)

1ère et dernière strophe

Fille: Je refuse de porter ce voile
Je ne suis ni traître ni renégate
Lutter pour une meilleure vie en est mon but capital
Et je rêve de devenir avocate

Père: On a discuté d´une manière ouverte et honnête
Tu ne veux plus porter ce tissu noir sur ta tête
Si seulement les prêcheurs s´occupent de leur besogne
Et si seulement ils avalent ce qu´ils racontent
Vas – y ma fille! Bats de tes ailes comme une cigogne!
Ton avenir et ta liberté c´est tout ce qui compte

L´étranger (poème de six strophes)

1ère et 3ème strophe

L´amour ardent dont il est épris
L´a emporté vers un beau pays
Il vient du tiers monde et a comme arme sa fierté
Il doit apprendre les normes d´une nouvelle société

Toutefois, certains manifestent leur allure xénophobe
Contre les peuples venant de cette surface du globe
Il en est un danger, tout individu appartenant à ce groupe
Mais les oiseaux de diverses couleurs forment une belle troupe



Intégration (poème de 11 strophes)

6ème strophe

Nous devons éviter tout préjugé
Ce que je considère comme signe de respect
Nous devons faire de la diversité une richesse partagée
Oh! Combien bénéfique sera son effet

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