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Arts, Culture et Société du Niger

Interview : Kedou Ag Ossad

Auteur: Anara
Date: le 04/04/2008 à 10:27
Interview : Kedou Ag Ossad

Pour inaugurer cette nouvelle rubrique, c'est un des membres du Tinariwen historique, désormais dans Terakaft, qui réponds à nos questions. Le "Géant" ("Khiwaj" nous raconte son parcours depuis les années 80.

Est-ce que tu te souviens de la première fois où tu as entendu un Touareg jouer de la guitare ?

J'ai entendu la guitare quand j'étais très jeune. Dans chaque région du Mali, il y avait les troupes de théâtre, mais ce n'était pas des Touaregs. Le style de guitare contemporain des Touaregs, je l'ai entendu pour la première fois en 1982, avec Ibrahim et Intiyeden.

Quand les as-tu rencontrés et dans quel contexte ?

Ce sont mes aînés, je les connais depuis que je suis jeune. Mais je les ai connus réellement en tant que guitaristes et poètes à partir de 1982. J'ai rencontré Intiyeden, avec sa guitare, en Libye, et Ibrahim en Algérie. Ils étaient les artistes les plus en vue, dans le Hoggar.

Quand as-tu commencé à jouer de la guitare et à composer ?

Avant de les rencontrer, j'étais surtout poète, je ne jouais pas de guitare. Je m'inspirais du tindé, la musique des campements touaregs. C'est en 85 que j'ai commencé à jouer de la guitare pour accompagner mes poèmes.

A quel âge as-tu commencé à écrire de la poésie ?

Je composais déjà des poèmes quand j'étais jeune, dans les campements, j'ai grandi avec cet esprit. Je me rappelle d'un poème que j'ai écrit en 84 contre le racisme. A l'époque, c'était soit Ibrahim soit Intiyeden qui mettait mes poèmes en musique.

Quels étaient les thèmes que tu abordais dans tes poèmes, à l'époque ?

Ma poésie était alors surtout axée sur le peuple touareg ("toumast" et ses divisions. Nous sommes un peuple fractionné, il est difficile pour nous de nous retrouver et de parler d'une seule voix. J'essayais aussi d'interpeller ma communauté en vue de nous instruire et d'être reconnus, vis-à-vis des autres communautés.

Et aujourd'hui ?

Les thèmes sont restés sensiblement les mêmes, mais j'évolue vers une musique plus universelle. Je pense que je dois sacrifier ma personne pour le bien de ma communauté, aujourd'hui encore. C'est ce qui m'anime au plus profond de moi.

Peux-tu nous raconter ton parcours militaire ?

Dans les années 80, je me suis retrouvé enrôlé dans la "légion islamique" de Khadafi, en Libye. Nous y sommes allés dans l'idée d'apprendre à manier les armes, car nous étions des éleveurs nomades. C'était notre premier contact avec la guerre moderne. J'ai d'abord combattu au Liban. Mes amis et moi y avons acquis une grande expérience de terrain. Après le Liban, je me suis retrouvé engagé dans la guerre entre la Libye et le Tchad, en 1986. C'est à ce moment là que nous avons commencé à concevoir l'idée de rentrer au pays, plutôt que de combattre pour la Libye ou le peuple arabe. Le problème du peuple touareg était que nous étions divisés entre 5 Etats et que nous ne pouvions plus circuler librement.
Nous sommes revenus au Mali et avons engagé une guerre contre l'Etat Malien, qui s'est soldée par un "Pacte National" en 92. J'ai été blessé plusieurs fois pendant les accrochages. Mon corps a été criblé de balles, on a souvent annoncé ma mort, jusque sur RFI ! Après le Pacte, comme beaucoup de mes amis, j'ai essayé de m'intégrer à l'armée malienne. J'ai déserté, je suis reparti en Algérie, puis en Libye, où j'ai intégré l'armée jusqu'en 2007.
Aujourd'hui, je pense que ma vie, c'est la poésie. C'est ma façon de lutter pour la reconnaissance de l'identité culturelle touarègue. La guitare me permet de m'exprimer mieux que les armes. Lors de mes tournées à l'étranger, j'exprime toute la douleur de mon peuple.

Ta première expérience de studio, c’était à Abidjan, en 92. Ce premier enregistrement de Tinariwen est assez étonnant, avec des synthés et des boites à rythme…

Je trouvais que les synthétiseurs étaient des instruments qui pouvaient réellement accompagner notre musique. Même aujourd'hui, ce serait bien de faire des tentatives comme ça, pour voir ce que ça peut donner.

Tu étais présent lors des enregistrements à Radio Tisdas, fin 2000, pour ce qui a constitué le premier disque occidental de Tinariwen. Mais quand le groupe a commencé à tourner à l’étranger, tu n’en faisais plus partie… Pourquoi cette absence ?

Ce groupe a toujours été le mien, j'ai défendu ses couleurs. Après Abdijan, nous avons réalisé une autre cassette à Bamako, en 93. J'ai représenté le groupe lors de sa première venue en France en 99, puis en Belgique. En 2000, je suis revenu à Kidal pour préparer le premier Festival au Désert, à Tin-Essako. Nous avons fait une résidence d'un mois avec Ibrahim, Japonais, Hassan et Abdallah, pour enregistrer "The Radio Tisdas sessions". En janvier 2001, juste après le Festival, on m'a fait comprendre que j'étais indésirable dans ce groupe. Je suis alors allé constituer mon propre groupe, Terakaft, qui est là aujourd'hui. Et c'est tant mieux pour la musique touarègue.

Terakaft existe depuis si longtemps ?!

Oui, depuis 2001. Après Tin-Essako, j'ai émigré en Algérie où j'ai rencontré Sanou. Ensemble, nous avons créé le groupe Terakaft. Ce nom signifie "la caravane" car nous allions de campement en campement et de ville en ville pour chanter. J'ai ensuite continué le groupe en Libye, où Terakaft a intégré encore d'autres musiciens. En 2004, nous avons été invités au Festival de Ghat, en Libye.

Que penses-tu des jeunes artistes touaregs ?

Il y a beaucoup de jeunes qui me plaisent. Pour la plupart, ce sont nous qui les avons formés et ce sont eux qui vont prendre la relève dans les années à venir. Je suis content de constater que notre musique a crée des émules un peu partout dans le Sahara.

Quels sont les artistes non-touaregs que tu apprécies ?

J'aime toutes les musiques du monde, d'Afrique, d'Europe, même si je ne connais pas tellement les noms.
Par exemple, j'aime le jeu de guitare de Justin Adams (guitariste de Robert Plant). Il a été le premier européen que j'ai vu jouer de la guitare en plein désert et il a participer à l'enregistrement de "Radio Tisdas".

Tu as joué avec Ali Farka... Tu le connaissais bien ?

C'était mon aîné, que son âme repose en paix. Je l'admirais beaucoup et nous avons beaucoup joué ensemble, à Bamako ou au Festival au Désert.

Ta première visite en France, c’était en 1999… Quel souvenir gardes-tu de ce premier séjour ?

Les problèmes qu'ont les Touaregs aujourd'hui, c'est un peu la faute de la France, qui a colonisé puis divisé les Etats africains... Donc, la première fois que je suis venu, mon idée c'était de venir dire aux Français que ce qu'ils avaient fait n'était pas juste. Je suis content que tu m'interviewes aujourd'hui car j'aime rappeler à chaque interview le rôle de la France dans la problématique touarègue.
Mais je suis quand même content d'avoir rencontré des producteurs français car c'est une bonne opportunité pour nous de faire passer notre message. Je remercie tous ceux qui ont contribué à faire connaître cette musique, qui était à l'origine destinée aux campements touaregs. Je pense que l'aventure va continuer avec vous.


Propos recueillis par Sedryk à Valence. Traduction : Issa Dicko.


http://www.tamasheq.net/interview-kedou-ag-ossad.html

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