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LE PÔLE MEURTRIER - Journal de route du capitaine Scott (1911-1912) |
I. — EXPÉDITION PRÉPARATOIRE (11/12)
Antarctique
Nous l'avons échappé belle. Si le traîneau avait été entraîné dans la chute, Meares et moi aurions sûrement été grièvement blessés, sinon tués. Les chiens ont reçu un terrible choc et subi une violente compression : trois d'entre eux vomissent le sang et paraissent souffrir de lésions internes plus ou moins graves.
La plupart sont demeurés suspendus dans le vide par une mince corde qui leur serrait le ventre, et dans cette position, se sont furieusement débattus. L'un d'eux a essayé de grimper le long des parois du gouffre en allongeant les pattes en avant et en arrière, si bien que les deux murs de la crevasse sont balafrés de coups de griffe! Deux qui se trouvaient accrochés l'un près de l'autre se battaient, quand le mouvement de pendule de la corde gui les soutenait leur permettait d'arriver à portée... L'accident s'était produit entre 1 heure et 1 heure et demie, et c'est seulement à 3 h. 20 que l'attelage était délivré. Quelques-uns de ces pauvres animaux sont ainsi restés suspendus plus d'une heure.
Après le déjeuner, nous nous remettons en route. La neige est maintenant molle et unie; sur une pareille surface, il y a moins de chances de rencontrer des crevasses. Après leur chute, les chiens ne sont pas précisément brillants; de plus, la piste laisse à désirer; aussi leur allure est-elle lente.
A une violente tempête de Sud a succédé un magnifique soleil qui inonde la tente pendant que j'écris. C'est le jour le plus calme et le plus chaud depuis le début de cette expédition. Vingt kilomètres seulement nous séparent encore de Safety Camp ; demain nous y arriverons. Plusieurs chiens m'inquiètent. Nous aurons de la chance si nous n'en perdons aucun.
Mercredi, 22 février. — Maigres comme des lattes, très fatigués et toujours très affamés, les chiens marchent mal. Évidemment, ils ne sont pas assez abondamment nourris; l'année prochaine leur ration devra être augmentée et leur régime approprié aux circonstances. Le biscuit seul n'est pas un aliment suffisant. Meares s'entend parfaitement à la direction de la meute, mais il ignore les conditions régnant dans l'Antarctique. Les chiens ne peuvent traîner à la fois de lourdes charges et des hommes assis sur le traîneau; nous devrons donc abandonner la méthode russe et désormais courir à côté des attelages. Meares s'imaginait, je crois, que le voyage du Pôle, aller et retour, s'accomplirait, confortablement installé sur un traîneau tiré par des chiens. Cette première expédition lui a ouvert les yeux.
Vers 4 h. 30 du matin, nous arrivons de nouveau à Safety Camp (distance : 22 kilomètres), où nous trouvons le lieutenant Evans et son escouade en parfaite santé. Hélas! ils n'ont plus qu'un seul poney!
Wilson, Meares, Evans, Cherry-Garrard et moi sommes partis ce matin à 11 heures pour la pointe de la Hutte. Arrivés là, tous les incidents du jour pâlissent devant une surprenante nouvelle contenue dans le courrier que me remet Atkinson : Amundsen est installé dans la Baie des baleines!
Poursuivre l'exécution de notre programme comme si un fait nouveau ne s'était pas produit, c'est le seul parti à prendre. Certes, Amundsen est un concurrent sérieux et sa base d'opérations se trouve de 100 kilomètres plus rapprochée du Pôle que la nôtre. Son programme me parait excellent, et sa meute lui donne sur nous cet avantage capital de pouvoir commencer son voyage dès le début de la saison, alors que les poneys nous obligeront à partir plus tard;
La plupart sont demeurés suspendus dans le vide par une mince corde qui leur serrait le ventre, et dans cette position, se sont furieusement débattus. L'un d'eux a essayé de grimper le long des parois du gouffre en allongeant les pattes en avant et en arrière, si bien que les deux murs de la crevasse sont balafrés de coups de griffe! Deux qui se trouvaient accrochés l'un près de l'autre se battaient, quand le mouvement de pendule de la corde gui les soutenait leur permettait d'arriver à portée... L'accident s'était produit entre 1 heure et 1 heure et demie, et c'est seulement à 3 h. 20 que l'attelage était délivré. Quelques-uns de ces pauvres animaux sont ainsi restés suspendus plus d'une heure.
Après le déjeuner, nous nous remettons en route. La neige est maintenant molle et unie; sur une pareille surface, il y a moins de chances de rencontrer des crevasses. Après leur chute, les chiens ne sont pas précisément brillants; de plus, la piste laisse à désirer; aussi leur allure est-elle lente.
A une violente tempête de Sud a succédé un magnifique soleil qui inonde la tente pendant que j'écris. C'est le jour le plus calme et le plus chaud depuis le début de cette expédition. Vingt kilomètres seulement nous séparent encore de Safety Camp ; demain nous y arriverons. Plusieurs chiens m'inquiètent. Nous aurons de la chance si nous n'en perdons aucun.
Mercredi, 22 février. — Maigres comme des lattes, très fatigués et toujours très affamés, les chiens marchent mal. Évidemment, ils ne sont pas assez abondamment nourris; l'année prochaine leur ration devra être augmentée et leur régime approprié aux circonstances. Le biscuit seul n'est pas un aliment suffisant. Meares s'entend parfaitement à la direction de la meute, mais il ignore les conditions régnant dans l'Antarctique. Les chiens ne peuvent traîner à la fois de lourdes charges et des hommes assis sur le traîneau; nous devrons donc abandonner la méthode russe et désormais courir à côté des attelages. Meares s'imaginait, je crois, que le voyage du Pôle, aller et retour, s'accomplirait, confortablement installé sur un traîneau tiré par des chiens. Cette première expédition lui a ouvert les yeux.
Vers 4 h. 30 du matin, nous arrivons de nouveau à Safety Camp (distance : 22 kilomètres), où nous trouvons le lieutenant Evans et son escouade en parfaite santé. Hélas! ils n'ont plus qu'un seul poney!
Wilson, Meares, Evans, Cherry-Garrard et moi sommes partis ce matin à 11 heures pour la pointe de la Hutte. Arrivés là, tous les incidents du jour pâlissent devant une surprenante nouvelle contenue dans le courrier que me remet Atkinson : Amundsen est installé dans la Baie des baleines!
Poursuivre l'exécution de notre programme comme si un fait nouveau ne s'était pas produit, c'est le seul parti à prendre. Certes, Amundsen est un concurrent sérieux et sa base d'opérations se trouve de 100 kilomètres plus rapprochée du Pôle que la nôtre. Son programme me parait excellent, et sa meute lui donne sur nous cet avantage capital de pouvoir commencer son voyage dès le début de la saison, alors que les poneys nous obligeront à partir plus tard;
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°2, p23
I. — EXPÉDITION PRÉPARATOIRE (12/12)
Antarctique
Mais notre devoir est de pousser vigoureusement en avant et travailler de toutes nos forces pour l'honneur du pays, sans nous laisser envahir par le découragement.
Jeudi, 23 février. — Travaillé toute la journée à préparer les trumeaux, afin de nous porter à la rencontre de Bowers à Corner Camp. Temps désagréable, vent et chasse-neige. Wilson et Meares tuent trois phoques pour nourrir les chiens.
Vendredi, 24 février. — Partis à 9 heures pour Corner Camp, Crean, Cherry-Garrard et moi avec un traineau; Evans, Atkinson et Ford avec un second; Keohane conduit son poney. Journée horrible. Au réveil, tout est recouvert d'une épaisse couche de petits cristaux de glace, une espèce de givre. Avant de déjeuner, je débarrasse mes skis de ce dépôt; travail inutile : pendant le repas il se reforme et je dois recommencer à nettoyer mes patins. Cela nous rappelle un matin de gelée blanche en Angleterre, avant une belle journée ensoleillée; mais, ici, il faut renoncer à ce dernier espoir. L'Erebus et le Terror apparaissent l'après-midi pendant quelques instants. Maintenant la neige s'élève en tourbillons; de nouveau le blizzard menace!
Samedi, 25 février. — Levés à 3 heures. Avançant à la découverte, nous reconnaissons bientôt dans la tache noire en mouvement l'escouade de Bowers avec ses poneys. Ils paraissent avancer très vite, et ne pas voir notre camp. Plus tard dans la journée nous recoupons leurs traces : leur examen me fait craindre qu'il ne reste plus que quatre chevaux.
Dimanche, 26 février. — Continuation de la marche vers Corner Camp. La deuxième escouade, avançant péniblement, enlève ses skis dans l'espérance de moins peiner. Après une marche de 5 kilomètres, nous dressons le camp pour déjeuner.
Cette halte terminée, encore 5 kilomètres et nous arrivons au dépôt. L'escouade de Bowers y avait campé. Nous y laissons six bonnes semaines de vivres, un sac d'avoine et les trois quarts d'un ballot de foin. De là, Cherry-Garrard, Crean et moi, partons directement pour la station, laissant les autres ramener le poney par petites étapes. A 10 heures du soir, campé.
Lundi, 27 février. — Au réveil, le blizzard fait rage. Nous voici encore une fois confinés sous la tente. Si l'on sort seulement une minute, on est couvert de neige de la tète aux pieds. Nous parvenons cependant à prendre dans le traîneau les ustensiles de cuisine, et à préparer un repas. Le sort des poneys me cause une vive inquiétude. Où peuvent-ils bien être? L'escouade de Bowers avait deux jours d'avance sur la tempête et peut-être a-t-elle réussi à se mettre à l'abri avant le blizzards (1) ? Il est plus probable que, comme nous, nos camarades ont été surpris par ce coup de chien. La force du vent est terrible; de furieuses rafales tendent la toile de la tente; avec cela, la température devient très basse. Toujours notre malchance habituelle!
(A suivre.)
Notes
(1). Dans les deux derniers jours, elle avait gagné Safety Camp.
Jeudi, 23 février. — Travaillé toute la journée à préparer les trumeaux, afin de nous porter à la rencontre de Bowers à Corner Camp. Temps désagréable, vent et chasse-neige. Wilson et Meares tuent trois phoques pour nourrir les chiens.
Vendredi, 24 février. — Partis à 9 heures pour Corner Camp, Crean, Cherry-Garrard et moi avec un traineau; Evans, Atkinson et Ford avec un second; Keohane conduit son poney. Journée horrible. Au réveil, tout est recouvert d'une épaisse couche de petits cristaux de glace, une espèce de givre. Avant de déjeuner, je débarrasse mes skis de ce dépôt; travail inutile : pendant le repas il se reforme et je dois recommencer à nettoyer mes patins. Cela nous rappelle un matin de gelée blanche en Angleterre, avant une belle journée ensoleillée; mais, ici, il faut renoncer à ce dernier espoir. L'Erebus et le Terror apparaissent l'après-midi pendant quelques instants. Maintenant la neige s'élève en tourbillons; de nouveau le blizzard menace!
Samedi, 25 février. — Levés à 3 heures. Avançant à la découverte, nous reconnaissons bientôt dans la tache noire en mouvement l'escouade de Bowers avec ses poneys. Ils paraissent avancer très vite, et ne pas voir notre camp. Plus tard dans la journée nous recoupons leurs traces : leur examen me fait craindre qu'il ne reste plus que quatre chevaux.
Dimanche, 26 février. — Continuation de la marche vers Corner Camp. La deuxième escouade, avançant péniblement, enlève ses skis dans l'espérance de moins peiner. Après une marche de 5 kilomètres, nous dressons le camp pour déjeuner.
Cette halte terminée, encore 5 kilomètres et nous arrivons au dépôt. L'escouade de Bowers y avait campé. Nous y laissons six bonnes semaines de vivres, un sac d'avoine et les trois quarts d'un ballot de foin. De là, Cherry-Garrard, Crean et moi, partons directement pour la station, laissant les autres ramener le poney par petites étapes. A 10 heures du soir, campé.
Lundi, 27 février. — Au réveil, le blizzard fait rage. Nous voici encore une fois confinés sous la tente. Si l'on sort seulement une minute, on est couvert de neige de la tète aux pieds. Nous parvenons cependant à prendre dans le traîneau les ustensiles de cuisine, et à préparer un repas. Le sort des poneys me cause une vive inquiétude. Où peuvent-ils bien être? L'escouade de Bowers avait deux jours d'avance sur la tempête et peut-être a-t-elle réussi à se mettre à l'abri avant le blizzards (1) ? Il est plus probable que, comme nous, nos camarades ont été surpris par ce coup de chien. La force du vent est terrible; de furieuses rafales tendent la toile de la tente; avec cela, la température devient très basse. Toujours notre malchance habituelle!
(A suivre.)
Adapté par M. CHARLES RABOT.
Notes
(1). Dans les deux derniers jours, elle avait gagné Safety Camp.
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°2, p24
Sélection photos
La maison et une vue du camp, une semaine après l'arrivée...
Ajoutée le 15/11/2014 à 15:09
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°2, p16
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°2, p16
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Ajoutée le 31/01/2015 à 19:28
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°3, p30
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°3, p30
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Ajoutée le 20/09/2016 à 08:09
© La Rédaction
© La Rédaction
Vaïda, un de nos chiens
Ajoutée le 31/01/2015 à 19:32
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°3, p35
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°3, p35
Les pingouins à la promenade
Ajoutée le 15/11/2014 à 15:09
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°2, p17
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°2, p17
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Ajoutée le 24/04/2016 à 08:00 © NouvelObs Montage
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Ajoutée le 03/06/2016 à 08:00 © Huffington Post