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LE PÔLE MEURTRIER - Journal de route du capitaine Scott (1911-1912) |
I. — EXPÉDITION PRÉPARATOIRE (5/12)
Antarctique
Par suite, ils n'ont pu atteindre le cap Evans et rapporter les fameuses raquettes. Notre seul espoir maintenant, c'est que la surface de la Barrière devienne de plus en plus consistante à mesure que nous nous éloignerons de la mer. Mais combien précaire est cette espérance! En tout cas, c'est déjà un résultat d'avoir découvert le moyen de triompher de la neige molle. Demain nous repartirons: Atkinson, étant éclopé, demeurera ici avec Crean.
Mardi, 2 février. — Nous nous sommes ébranlés vers 10 h. 30. A mon grand étonnement, les poneys n'enfoncent guère, et pendant plus d'une heure la colonne avance assez rapidement. Plus loin, la piste est moins bonne. Cet état de la neige, si différent de celui que nous nous attendions à rencontrer, nous détermine à dormir le jour et à marcher désormais la nuit et le matin, c'est-à-dire pendant les heures où la température est basse. Les poneys se reposeront mieux durant la période chaude de la journée ; c'est là un avantage à considérer, môme si la piste ne devient pas meilleure la nuit. Hier, une fois le vent tombé, la température s'est abaissée à 20°,1 sous zéro. Aujourd'hui, temps chaud et calme.
Vendredi, 3 février. — Départ à minuit trente. Nous faisons 14 kilom. 4. A la fin de l'étape, la neige semblait s'affermir, lorsque, au moment de camper, le poney de Bowers, qui tient la tète de la colonne, enfonce. Plusieurs autres qui marchent sur ses talons commencent à barboter à leur tour, et bientôt trois chevaux se débattent dans une nappe de neige molle.
Nous munissons de raquettes le cheval de Bowers. Après avoir pendant quelques minutes marché un peu gauchement, il s'habitue à ces engins et peut être attelé aux traîneaux laissés en détresse. Sans broncher, la bête passe sur la même plaque où elle avait auparavant enfoncé. Que ne possédons-nous un grand nombre de ces raquettes! Sept chevaux pourraient certainement en être munis, et même, après quelques essais, le huitième, celui d'Oates. Ainsi chaussés, les chevaux haleraient sans aucune difficulté leurs charges sur les champs de neige molle. Combien il est énervant de penser que nous avons négligé d'emporter ces engins, qui nous auraient rendu de si grands services!
Après avoir soufflé pendant tout le jour, le vent du Sud-Ouest tombe et le ciel est couvert. J'écris mon journal après un somme de neuf heures, tandis que mes camarades reposent encore. L'emploi des poneys sur la Barrière entraîne des arrêts prolongés. D'après l'ordre de marche adopté, les chiens partent une heure et même plus après la colonne, et arrivent au campement suivant peu de temps après que les poneys ont été mis au piquet. Ils tirent très bien, l'attelage de Meares surtout, mais ils sont tant soit peu difficiles. Sous le harnais, en général ils donnent l'impression que la concorde règne entre eux, ils vont paisiblement côte à côte, épaule contre épaule, et, quand ils font halte, ils ont l'attention d'enjamber ceux qui sont déjà couchés. Mais l'occasion d'une ripaille se présente-t-elle, aussitôt leurs passions s'éveillent, chacun regarde de travers son voisin, et, pour le plus futile prétexte, se jette sur lui. Si en marche leurs traits viennent à s'emmêler, leurs instincts batailleurs se manifestent non moins brutalement. Un attelage paisible, qui un instant auparavant cheminait nonchalamment en remuant la queue, devient soudain une bande de démons hurlants qui se déchirent à pleines dents les uns les autres.
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°2, p17
I. — EXPÉDITION PRÉPARATOIRE (6/12)
Antarctique
Ce sont les manifestations de sauvagerie qui déterminent l'homme à sacrifier délibérément ces animaux lorsqu'il le faut, malgré le concours précieux qu'ils apportent à des entreprises comme celle que nous nous proposons.
Samedi 4 février. - Nous sommes arrivés au Corner Camp (campement du Coin) après une excellente marche de nuit de 16 kilomètres. Au début, mauvaise piste; pendant 3 kilomètres, les poneys enfoncent beaucoup, tandis que, avec ses raquettes, le cheval de Bowers avance facilement. Ensuite, la surface devient meilleure et l'allure plus régulière. A 8 kilomètres du précédent bivouac, campé pour la grande halte. Pendant la seconde partie de l'étape, cela marche encore mieux, le seul incident est la traversée de plusieurs crevasses. Le poney d'Oates fourre ses jambes dans deux de ces trous et enfonce dans un troisième. Trois kilomètres environ avant la fin de l'étape, les fentes disparaissent. Pendant la dernière partie de la marche, terrain très résistant, par suite trainage facile. Je redoute un blizzard.
Dimanche, 5 février. — Hier, vers 4 heures du soir, le blizzard a fondu sur nous. D'abord, vingt-quatre heures durant, le vent souffle relativement modéré, puis, tournant un peu à l'Ouest, Il devient beaucoup plus fort. Actuellement il est très violent et soumet notre frêle petite tente à une rude épreuve. Nous espérons la fin prochaine du mauvais temps sans y compter beaucoup cependant : nous ne sommes pas loin du cap Crozier, et dans cette région les blizzards sont longs. Boire, manger, dormir et causer de temps en temps, telles sont nos occupations pendant la tourmente.
Lundi, 6 févier. — La nuit dernière le vent a encore augmenté et toute la journée il a soufflé avec une très grande force. Par un pareil temps les sorties manquent d'agrément, mals il n'y a pas de "carottiers" parmi nous. Aux heures habituelles, Oates, Meares et Wilson sont allés donner leur pitance aux animaux; et les autres n'hésitent pas non plus à accomplir la besogne qui leur incombe.
Les chevaux supportent assez bien ce mauvais temps ; de grands perfectionnements devront cependant être apportés à leur vestiaire. Les chiens, eux, semblent jouir du bonheur parfait. Ils sont couchés en rond sous la neige et abandonnent seulement à l'heure des repas leurs trous chauds. Par bonheur, la température est élevée. A quelle épreuve de patience nous soumet ce blizzard : plus de cinquante heures perdues et aucun signe précurseur de la fin de la tourmente! Les amas de neige chassée par le vent sont très hauts, plusieurs traîneaux sont presque enfouis.
Mardi, 7 février. — Toute la nuit la tempète a continué; ce n'est qu'aujourd'hui, à 8 heures du matin, qu'elle mollit. Deux heures plus tard, un pan de ciel bleu est visible entre le Sud-Ouest et l'Ouest, en même temps l'ile Blanche, le Bluff et les montagnes occidentales (1) se découvrent très nets. Dès que la brise est tombée, nous nous livrons à divers travaux, nous dégageons les traîneaux, réparons l'abri des poneys. A 11 heures, un nuage noir apparaît dans le Sud; pas de doute, la tempête va reprendre, et en effet, à 1 heure de l'après-midi, le chasse-neige recommence.
Notes
(1). Les chaînes de la Terre Victoria. (Note du traducteur.)
Samedi 4 février. - Nous sommes arrivés au Corner Camp (campement du Coin) après une excellente marche de nuit de 16 kilomètres. Au début, mauvaise piste; pendant 3 kilomètres, les poneys enfoncent beaucoup, tandis que, avec ses raquettes, le cheval de Bowers avance facilement. Ensuite, la surface devient meilleure et l'allure plus régulière. A 8 kilomètres du précédent bivouac, campé pour la grande halte. Pendant la seconde partie de l'étape, cela marche encore mieux, le seul incident est la traversée de plusieurs crevasses. Le poney d'Oates fourre ses jambes dans deux de ces trous et enfonce dans un troisième. Trois kilomètres environ avant la fin de l'étape, les fentes disparaissent. Pendant la dernière partie de la marche, terrain très résistant, par suite trainage facile. Je redoute un blizzard.
Dimanche, 5 février. — Hier, vers 4 heures du soir, le blizzard a fondu sur nous. D'abord, vingt-quatre heures durant, le vent souffle relativement modéré, puis, tournant un peu à l'Ouest, Il devient beaucoup plus fort. Actuellement il est très violent et soumet notre frêle petite tente à une rude épreuve. Nous espérons la fin prochaine du mauvais temps sans y compter beaucoup cependant : nous ne sommes pas loin du cap Crozier, et dans cette région les blizzards sont longs. Boire, manger, dormir et causer de temps en temps, telles sont nos occupations pendant la tourmente.
Lundi, 6 févier. — La nuit dernière le vent a encore augmenté et toute la journée il a soufflé avec une très grande force. Par un pareil temps les sorties manquent d'agrément, mals il n'y a pas de "carottiers" parmi nous. Aux heures habituelles, Oates, Meares et Wilson sont allés donner leur pitance aux animaux; et les autres n'hésitent pas non plus à accomplir la besogne qui leur incombe.
Les chevaux supportent assez bien ce mauvais temps ; de grands perfectionnements devront cependant être apportés à leur vestiaire. Les chiens, eux, semblent jouir du bonheur parfait. Ils sont couchés en rond sous la neige et abandonnent seulement à l'heure des repas leurs trous chauds. Par bonheur, la température est élevée. A quelle épreuve de patience nous soumet ce blizzard : plus de cinquante heures perdues et aucun signe précurseur de la fin de la tourmente! Les amas de neige chassée par le vent sont très hauts, plusieurs traîneaux sont presque enfouis.
Mardi, 7 février. — Toute la nuit la tempète a continué; ce n'est qu'aujourd'hui, à 8 heures du matin, qu'elle mollit. Deux heures plus tard, un pan de ciel bleu est visible entre le Sud-Ouest et l'Ouest, en même temps l'ile Blanche, le Bluff et les montagnes occidentales (1) se découvrent très nets. Dès que la brise est tombée, nous nous livrons à divers travaux, nous dégageons les traîneaux, réparons l'abri des poneys. A 11 heures, un nuage noir apparaît dans le Sud; pas de doute, la tempête va reprendre, et en effet, à 1 heure de l'après-midi, le chasse-neige recommence.
Notes
(1). Les chaînes de la Terre Victoria. (Note du traducteur.)
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°2, p18
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© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°3, p30
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© La Rédaction
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© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°3, p35
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© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°2, p17
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°2, p17
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