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LE PÔLE MEURTRIER - Journal de route du capitaine Scott (1911-1912)

I. — L'EXPÉDITION PRÉPARATOIRE (fin) 11/12

Antarctique

Pendant mon absence, l'organisation de la station a été très heureusement complétée et les observations scientifiques mises en train. Après l'existence primitive que nous venons de mener à la pointe de la Hutte, l'excellente maison du cap Evans produit sur nous la plus agréable impression. Avec son éclairage, elle nous semble un palais resplendissant et ses installations luxueuses. Combien il est agréable de s'asseoir à une table, de prendre un bain quand on a été privé de ces commodités pendant trois mois, et quel plaisir on ressent à revêtir des vêtements propres et secs!
Aussitôt après mon retour, désireux de montrer les améliorations qu'ils ont apportées à notre habitation et dont ils sont très fiers, les habitants de la station me font faire le tour du propriétaire.

Vaïda, un de nos chiensLundi, 17 avril. — A 8 heures du matin, départ pour la pointe de la Hutte avec deux escouades et autant de traineaux. La première comprend : Lashley, Day, Demetri et moi; la seconde: Bowers, Nelson, Crean, Hooper.
Outre notre équipement personnel, nous emportons pour les camarades demeurés là-bas des vivres pour une semaine, du beurre, de la farine, du lard, du chocolat, etc.
Sur la banquise, avançant contre un vent violent et un chasse-neige aveuglant, le tirage devient très pénible. Plusieurs de nous sont mordus au visage par la gelée, tandis que d'autres ont les pieds littéralement glacés. Depuis notre passage, une corniche de glace s'est reformée au sommet de la falaise de glace que nous avons maintenant à escalader, et les deux bouts de la corde ayant, il y a quatre jours, servi à descendre cet à-pic sont enfouie. Souffrant atrocement du froid, nous campons pour prendre le thé et changer de chaussures et de bas. Pendant que l'eau est sur le feu, Bowers et moi partons à la recherche d'une brèche permettant de gravir la falaise. Tout compte fait, nous décidons de tenter le passage près d'une corniche surplombante, voisine de notre corde.
Après déjeuner, nous déchargeons un traîneau. Tenu en l'air par quatre hommes, son bord supérieur atteint juste le bord de la corniche. Grimpant alors sur le dos de mes camarades, puis sur le véhicule, je taille avec une hache des pas au-dessus de la crête de glace, et parviens ainsi à gagner le sommet de la falaise. Avec la corde, j'aide ensuite Bowers à monter ; les autres suivent, finalement tout l'attirail est hissé pièce à pièce. Les traineaux une fois rechargés, de nouveau en route.

Mardi, 18 avril. — Pénible ascension du Castle Rock, littéralement transpercés de sueur. Cette sudation abondante par un temps aussi froid peut entrainer des conséquences graves.
 © Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°3, p35

I. — L'EXPÉDITION PRÉPARATOIRE (fin) 12/12

Antarctique

Arrivés à 1 heure de l'après-midi à la pointe de la Hutte. Trouvé tout le monde en bonne santé. Depuis notre départ, le temps a été ici fort mauvais; d'abord un blizzard très froid, puis une brise de Sud-Ouest constante, avec — 28°,8. Le vent empêchant la mer de geler le long de la côte, l'eau libre arrive jusqu'à la pointe de la Hutte.
Les habitants de la cabane ne possèdent plus qu'une mince provision de graisse ; ils ont, il y a deux jours, tué un phoque et un second aujourd'hui.

Mercredi, 19 avril. - Pointe de la Hutte. Pendant la nuit, calme. A midi le détroit gelé se solidifie ; devant la pointe, les plaques ont une épaisseur de 12 centimètres. On tue trois phoques. Après le déjeuner, tout le monde travaille à rapporter les dépouilles à la cabane. Nos camarades sont maintenant à la tête d'une provision de graisse pour douze jours.

Vendredi, 21 avril. - A 10 h. 30, départ pour la station. Je confie à Meares le commandement de la cabane; avec lui demeurent Demetri comme chef de la meute, Lashley et Keohane pour surveiller les poneys, Nelson, Day et Ford afin qu'ils s'entraînent aux fatigues de l'exploration polaire. Je retourne avec Wilson, Atkinson, Crean, Bowers, Oates, Cherry-Garrard et Hooper.
Vent de côté, glacial ; quelques « morsures » de froid. Vers 2 h. 30, nous arrivons au bas de la pente, au-dessus de la falaise dominant la banquise. La corniche, au sommet de cet escarpement, s'est éboulée. Brise et tourbillons de neige terriblement désagréables. La descente de l'escarpement glacé est laborieuse. Bowers et quelques autres descendent à la corde sur la banquise; les traîneaux chargés suivent ; puis les autres se laissent glisser le long du câble enroulé autour d'un solide piquet en frêne.
Quand tous les bagages ont été amenés sur la banquise, sous les tourbillons de neige, le froid se fait cruellement sentir. Immédiatement alors nous nous attelons aux traîneaux et, en toute hâte, allons chercher un abri au pied des falaises. Rapidement les tentes sont montées, et le réchaud allumé. Après nous être réconfortés, nous repartons à 4 h. 30. Marche pénible sur la banquise et très mauvais éclairage pendant la traversée de la Langue du glacier. Comme toujours dans cette région, nous perdons la route et, après avoir fréquemment trébuché dans des crevasses, nous reprenons enfin terre à l'endroit accoutumé. Nous continuons ensuite sans arrêt jusqu'à l'île Little Razor Back, peinant terriblement pour haler notre véhicule. De l'avis de Crean, bien que les charges soient égales, notre traîneau est beaucoup plus dur à tirer que celui de l'autre escouade. Bower approuve par politesse ; au fond, je suis persuadé que lui et son escouade pensent que ce sont là raisons de gens fatigués. Rien ne vaut l'expérience, et nos camarades acceptent de changer de traîneau. Quelle différence entre les deux véhicules ! Celui de l'escouade de Bowers nous parait léger comme une plume en comparaison du nôtre. Dès lors nous prenons une allure rapide. En arrivant, nous étions trempés de sueur.
Nos amis de la station sont ravis de notre retour. L'excellent aménagement des quartiers d'hiver enthousiasme tous les arrivants.

(A suivre.)
Adapté par M. CHARLES RABOT.

La préparation des traîneaux pour l'expédition aux pôles
 © Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°3, p36
 

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Vaïda, un de nos chiens
Vaïda, un de nos chiens
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© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°3, p35
Un iceberg en voie de démolition au milieu de la b...
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© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°2, p23
La banquise: vue prise dans le détroit de Mac Murd...
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© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°3, p27
La préparation des traîneaux pour l'expédition aux...
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© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°3, p36
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La "Terra-Nova" pendant la tempête: la manoeuvre des...
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© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°2, p15

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