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LE PÔLE MEURTRIER - Journal de route du capitaine Scott (1911-1912) |
I. — L'EXPÉDITION PRÉPARATOIRE (fin) 9/12
Antarctique
Après cela, nous nous blottisons dans nos sacs de couchage en peau de renne, très chauds et très agréables maintenant qu'ils sont secs, et, à la lueur de lampes à huile de phoque et de chandelle, lisons au lit une heure ou deux. Enfoncés dans la fourrure, nous étudions les questions sociales et politiques qni ont agité le monde durant ces dernières années.
Notre troupe compte un effectif de 16 hommes ; 7 ont leurs quartiers dans une des ailes de la galerie en forme d'L, 4 dans un autre, tandis que 5 occupent « l'annexe » ; cette dernière partie de notre logement est très froide ; de cet inconvénient nos camarades prennent gaiement leur parti, déclarant que leur installation est par cela même plus salubre. Nous dormons huit à neuf heures d'un trait; plus d'un ferait même facilement le tour du cadran. C'est la meilleure preuve que nous sommes en très bonne santé, bien que nos figures et nos mains noires-de fumée nous donnent une apparence singulière.
Jeudi, 13 avril. — Mardi, à 9 heures du matin, départ de deux escouades pour la station. La première comprend, outre le chef de l'expédition, Bowers, P. O. Evans, Taylor : la seconde, le lieutenant Evans, Gran, Crean, Debenham et Wright. Wilson demeure à la pointe de la Hutte avec Meares, Ford, Keohane, Oates, Atkinson et Cherry-Garrard.
Les camarades qui restent à la cabane nous donnent un coup de main pour l'ascension sur la « pente des skis ». Nous mettrons notre point d'honneur à gravir cette déclivité sans souffler en route ; le matin en partant, un pareil effort me parut pénible, mais je dus me résoudre à l'accomplir.
Suivant les hauteurs, nous arrivons aux rocs Hulton, à 12 kilomètres de la pointe de la Hutte. Au moment de descendre vers la mer le vent augmentant et l'éclairage devenant très mauvais, nous prenons le parti de camper. A deux heures et demie, une éclaircie nous permet de voir qu'il est possible de descendre vers les falaises de glace. Aussitôt nous repartons à travers un terrain très crevassé et raviné. Une fois arrivés au bas de la pente, nous reconnaissons l'impossibilité de franchir les escarpements abrupts qui nous séparent de la banquise. Au point le plus bas, ces à-pic de glace atteignent une hauteur de plus de 7 mètres. Tandis que nous examinons la situation, le vent force et de la crête descendent d'épais tourbillons de neige. Une décision rapide s'impose ; je m'approche alors du bord de la falaise et abats la corniche qui la surplombe; cela, fait, au moyen d'une corde nous descendons trois compagnons. Par le même moyen, je leur envoie ensuite les traineaux, tout chargés, puis le reste de l'escouade suit, toujours avec la corde. En 20 minutes l'obstacle était vaincu.
Sur la banquise, le halage est rendu pénible par la présence de cristaux de sel sur la glace. Quoiqu'il en soit, nous parvenons à la Langue du glacier vers 5 h 30.
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°3, p33
I. — L'EXPÉDITION PRÉPARATOIRE (fin) 10/12
Antarctique
Pour monter sur le glacier, point de difficultés, ayant eu la chance de découvrir dans sa muraille terminale une brèche haute de 2 mètres au plus, par laquelle nous faisons passer les traîneaux. Une fois sur la glace, la marche est facile, mais le jour baisse et cela au moment où nous arrivons au milieu d'innombrables crevasses ; plusieurs d'entre-nous culbutent et manquent de se blesser. Heureusement, sur la partie nord du glacier, couverte de neige, nous avançons aisément et un vallon nous amène bientôt au bord septentrional de la falaise terminale de cet appareil glaciaire. Là encore, une brèche permet une descente aisée. A 6 heures nous campons pour le thé, puis poursuivons vers le cap Evans. Une demi-heure plus tard, l'obscurité nous empêche de distinguer quoi que ce soit ; nous gagnons alors la banquise et continuons quelques heures encore ; à 10 heures, ne voyant plus rien, nous campons tout près de la petite île Razor Back..
Dans la nuit, le vent se fait et, le lendemain matin, de nouveau un furieux blizzard. Toute la journée attendu en vain une accalmie. Vers le soir nous allons nous installer sur une petite plate-forme de glace relativement abritée, que j'avais trouvée en faisant le tour de l'île avec Bowers. L'opération ne dure pas moins de deux heures et est rendue particulièrement pénible par le froid ; mais ce nouveau camp se trouve protégé par les falaises ; de temps en temps seulement une rafale nous atteint. En revanche, sur la crête le vent fait rage ; tellement bruyant est son ronflement que nous pouvons à peine nous entendre.
Le lendemain matin la brise a molli ; à 7 heures du matin, la terre est vaguement visible. J'éveille aussitôt mon monde et bientôt nous sommes en route. Vent violent, froid atroce, nos vêtements couverts de glace, rien ne manque pour rendre la marche très pénible; heureusement 3 kilomètres seulement nous séparent de la station. Arrivés vers 10 heures devant le cap Evans, nous en faisons le tour sur la banquise, et sommes bientôt en vue de la maison.
Samedi, 15 avril. — Toute la journée tempête. Dès qu'une embellie se produira, je repartirai porter des approvisionnements aux habitants de la pointe de la Hutte. Ce soir, nous leur annonçons par un feu notre heureuse arrivée ; ils répondent par le même signal.
Dimanche, 16 avril. - Jusqu'à 6 heures, toujours la tempête; ensuite le calme se fait, interrompu de temps à autre par des rafales de Nord. Nous nous dirigeons vers nos quartiers d'hiver qui sont devant nous. En les apercevant mieux, à mesure que nous approchons, une satisfaction intense s'empare de moi. Depuis la perte des poneys et la rupture de la Langue du glacier, je gardais l'impression qu'une nouvelle catastrophe nous menaçait. De sombres pensées m'assaillaient sans cesse. Je m'imaginais une sorte de raz de marée balayant la plage et ravageant nos installations. La tardive congélation de la mer, la persistance des tempêtes et les intempéries avaient peu à peu fait naître en moi une profonde méfiance et continuellement mon imagination me représentait un cataclysme fondant sur ceux dont j'étais séparé depuis si longtemps...
Ainsi donc, il n'en était rien. Mes appréhensions étaient vaines... A ma grande surprise, la glace fixe s'étend au delà du promontoire, si bien que nous pouvons le doubler pour arriver dans la baie du Nord. De là, nous apercevons l'abri météorologique, puis la station, après avoir contourné une saillie de la côte. La maison, l'écurie, les hangars sont là devant nous, en parfait état. A cette vue, quel soulagement j'éprouve! Près de la construction, nous distinguons deux hommes. Dès qu'ils nous aperçoivent, ils rentrent précipitamment annoncer notre retour. Trois minutes plus tard, nos neuf camarades demeurés au cap : Simpson, Nelson, Day, Ponting, Lashley, Clissold, Antoine et Demetri dévalaient au-devant de nous, en poussant des cris de joie. Ce sont alors de part et d'autre des flots de questions. En une minute nous apprenons les événements les plus importants survenus à la station en notre absence. Les plus graves sont la mort d'un chien et celle du poney Hackenschmidt.
Dans la nuit, le vent se fait et, le lendemain matin, de nouveau un furieux blizzard. Toute la journée attendu en vain une accalmie. Vers le soir nous allons nous installer sur une petite plate-forme de glace relativement abritée, que j'avais trouvée en faisant le tour de l'île avec Bowers. L'opération ne dure pas moins de deux heures et est rendue particulièrement pénible par le froid ; mais ce nouveau camp se trouve protégé par les falaises ; de temps en temps seulement une rafale nous atteint. En revanche, sur la crête le vent fait rage ; tellement bruyant est son ronflement que nous pouvons à peine nous entendre.
Le lendemain matin la brise a molli ; à 7 heures du matin, la terre est vaguement visible. J'éveille aussitôt mon monde et bientôt nous sommes en route. Vent violent, froid atroce, nos vêtements couverts de glace, rien ne manque pour rendre la marche très pénible; heureusement 3 kilomètres seulement nous séparent de la station. Arrivés vers 10 heures devant le cap Evans, nous en faisons le tour sur la banquise, et sommes bientôt en vue de la maison.
Samedi, 15 avril. — Toute la journée tempête. Dès qu'une embellie se produira, je repartirai porter des approvisionnements aux habitants de la pointe de la Hutte. Ce soir, nous leur annonçons par un feu notre heureuse arrivée ; ils répondent par le même signal.
Dimanche, 16 avril. - Jusqu'à 6 heures, toujours la tempête; ensuite le calme se fait, interrompu de temps à autre par des rafales de Nord. Nous nous dirigeons vers nos quartiers d'hiver qui sont devant nous. En les apercevant mieux, à mesure que nous approchons, une satisfaction intense s'empare de moi. Depuis la perte des poneys et la rupture de la Langue du glacier, je gardais l'impression qu'une nouvelle catastrophe nous menaçait. De sombres pensées m'assaillaient sans cesse. Je m'imaginais une sorte de raz de marée balayant la plage et ravageant nos installations. La tardive congélation de la mer, la persistance des tempêtes et les intempéries avaient peu à peu fait naître en moi une profonde méfiance et continuellement mon imagination me représentait un cataclysme fondant sur ceux dont j'étais séparé depuis si longtemps...
Ainsi donc, il n'en était rien. Mes appréhensions étaient vaines... A ma grande surprise, la glace fixe s'étend au delà du promontoire, si bien que nous pouvons le doubler pour arriver dans la baie du Nord. De là, nous apercevons l'abri météorologique, puis la station, après avoir contourné une saillie de la côte. La maison, l'écurie, les hangars sont là devant nous, en parfait état. A cette vue, quel soulagement j'éprouve! Près de la construction, nous distinguons deux hommes. Dès qu'ils nous aperçoivent, ils rentrent précipitamment annoncer notre retour. Trois minutes plus tard, nos neuf camarades demeurés au cap : Simpson, Nelson, Day, Ponting, Lashley, Clissold, Antoine et Demetri dévalaient au-devant de nous, en poussant des cris de joie. Ce sont alors de part et d'autre des flots de questions. En une minute nous apprenons les événements les plus importants survenus à la station en notre absence. Les plus graves sont la mort d'un chien et celle du poney Hackenschmidt.
© Le Tour du Monde 1914, Edouard Charton, tome XX, NS, n°3, p34
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